La notion de « visée » en psychomécanique du langage : essai de définition-3

5. Proposition de définition

Guillaume écrit rappelons-nous :

Quand au mouvement par lequel, dans le procès de la formation image-temps, la chronogénèse, en action sur l’axe qui lui est propre, se porte d’un axe chronothétique au suivant, comme il s’agit d’une opération de pensée réalisatrice non pas particulière au temps et au verbe, mais tout à fait générale dans le langage, nous la désignerons par le terme visée1.

La notion de « visée » est extrêmement importante en psychomécanique du langage et elle sous-tend toute l’opérativité qui caractérise l’analyse du langage basée sur la mécanique intuitionnelle. C’est avec raison d’ailleurs que les auteurs du Vocabulaire ajoute afin d’appuyer leur définition synthétique et quelque peu ambiguë (peut-être parce que tout à fait décontextualisée) de début d’article à savoir :

On appelle visée toute opération réalisatrice.

une explication définitoire :

« La méthode guillaumienne consistant à rechercher le processus dynamique sous le résultat statique, la puissance constructrice sous l’effet construit, toute opération de pensée se répartit entre une visée et une ou plusieurs saisies qui sont autant d’articulations systématiques. »

Si l’on entend par là que toute opération de pensée participe d’une visée, peut-être de façon plus explicite de celle qui sous-tend l’acte de langage, la visée constructrice du discours, cela est juste. Toutefois, qu’advient-il de la visée de puissance ? Tout acte de langage participe des deux visées puisqu’il s’agit du passage de l’état de puissance à l’état d’effet, de la langue au discours. Les auteurs du Vocabulaire reprenne la définition de Guillaume et ajoute : La visée, c’est l’ensemble des opérations de production ou de construction précédant et conditionnant le résultat construit.

Il nous semblerait plus juste de définir par « une » plutôt que par « toute ». À la première lecture, la généralité laisse croire que le « toute opération » s’écarte de la pensée de Guillaume qui précise que seulement les opérations très générales sont nommées visées. Et à vrai dire la visée, sans déterminant aucun, est plutôt liée à l’idée de direction de la pensée, de direction de l’esprit, de tension vers une réalisation.

La visée qui est réalisée par des opérations de pensée ne saurait être défini comme étant l’ensemble de ces opérations. Elle est elle-même vue comme « une opération, tout à fait générale dans le langage, qui est de nature prévisionnelle, anticipative et contenante à l’égard des opérations plus particulières qui la réalisent ».

La vérité, c’est que la visée varie dès qu’on l’associe à la fin vers laquelle elle est orientée. Elle se colore de celle-ci. S’agit-il de construire la puissance de la langue, s’agit-il de construire le discours ? Depuis Temps et verbe, la notion de visée s’est précisée.

II. Autour des visées

« …une langue riche offre des ressources abondantes en ce qui concerne la matière, mais il peut y être difficile de donner à cette matière toutes les formes qu’il faudrait pour que tous buts de pensée fussent atteints et que l’intention du discours dominât partout.

Gustave Guillaume, Problème de l’article et sa solution dans la langue française, p.36.

  1. Visée de discours et visée phrastique chez Roch Valin
  2. Visée d’effet ou visée de discours
  3. La v.d. et la v.p. en syntaxe opérative

La notion de visée s’est révélé extrêmement précieuse pour dégager les principes directeurs de la syntaxe opérative à partir de l’analyse psychomécanique du langage proposée par Gustave Guillaume. Dans le cadre de l’acte de langage, le point de départ se prend à la visée de discours, la VD, celle du sujet parlant, et le va-et-vient s’installe entre la visée phrastique, la VP, et la visée de discours. La psychomécanique a toujours proposée la phrase comme étant l’unité d’effet obtenue en fin de l’acte de langage (rappelons-nous les figures de la Petite introduction à la psychomécanique du langage) et le sujet parlant comme étant l’acteur qui, de par sa faculté de langage, engage l’acte de langage.

Afin de parer tout de suite à l’interprétation trop restrictive qui pourrait être faite à partir de ces prémisses que le discours se réalise à l’aide de l’unité d’effet qu’est la phrase, grâce au mécanisme de la phrase qui siège en langue, disons que plusieurs phrases peuvent être produites pour épuiser une visée de discours. Examinons le rapport proposé par Valin, dans ses Perspectives sur la syntaxe entre ces deux visées. À la deuxième page de votre document d’accompagnement les figures ont été reprises pour plus de commodité. Valin écrit :

Une réflexion un peu attentive conduit en effet très vite à reconnaître ici que, en raison de ce qu’elle sont par nature, le rapport des deux visées ne saurait avoir d’autre forme que celle d’une inclusion, la visée de discours encadrant et enveloppant, aussi longtemps qu’elle persiste dans le temps, la visée phrastique dont la démission précèdera toujours la sienne d’au moins un temps, le temps de comparer justement, le résultat de représentation obtenu avec le résultat expressif visé.[..] …une même visée de discours enveloppant souvent, dans la pratique du langage, plusieurs visées phrastiques dont les résultats partiels, en s’additionnant, apportent leur concours à un effet expressif plus large, dès le départ visé. Autrement dit, pour respecter la réalité vécue du langage, il convient de tenir compte, non seulement du discours limité et complet que peut, en certaines circonstances, constituer une phrase, mais aussi du discours étendu exigeant pour réaliser sa visée, un nombre indéterminé de phrases souvent liées entres elles à l’aide de ligatures logiques à cette fin prévues en langue, où elles font partie des moyens de représentation et d’expression tenus à la disposition du sujet parlant.

De quelle nature sont les deux visées en question ? Installons-nous en situation de langage. Pour l’acte de langage, il y a causation matérielle et causation formelle. En effet, il existe d’une part, à titre de causation formelle comme le formule Valin dans son essai (P.7) « un sujet parlant en possession d’une langue, donc susceptible de dire des choses au sujet des choses dont il peut ou veut parler » et, d’autre part, à titre de causation matérielle, « tout vécu expérientiel dont un sujet parlant garde la mémoire est susceptible de devenir l’objet d’un discours, c’est-à-dire matière à langage ». Le vécu expérientiel étant défini……

Au départ de l’acte de langage nous avons donc la mise en cause de deux visées. La première, écrit Valin « est une visée expressive se matérialisant en un vouloir-dire dont l’objet est le contenu d’un certain vécu expérientiel. Cette visée que nous qualifions de visée de discours ou visée discursive est, ou du moins peut être pleinement consciente. Quant à la seconde, que nous appellerons visée phrastique, elle est rigoureusement inconsciente et se matérialise sous la forme d’un recours aux moyens d’expression mis à la disposition du sujet parlant par la langue qu’il possède : ce qui revient à dire qu’elle est, par nature, une visée de représentation ayant comme objet le vécu expérientiel contenu dans la visée de discours.

Dans la chaîne des causations du langage, il faut situer cet acte de langage qui met en cause les deux visées. Nous avons reproduit pour vous les figures proposées dans l’article de Roch Valin intitulé Pour une phénoménologie vraie du langage qui a paru dans Modèles linguistiques (VI, 2, 1984, pp.11-26) et repris dans L’envers des mots analyse psychomécanique du langage paru récemment pp.231, pp.267. au savoir-dire que se rattache la langue, et au dire et au dit que se rattache l’acte de langage, l’effection qui permet le passage du plan de la puissance au plan de l’effet.

Parallèlement à la syntaxe psychomécanique, l’élaboration d’une syntaxe psychomécanique de l’énonciation a donné lieu à une relecture de l’acte de langage. L’opération de discours y est vu comme l’acte d’énonciation et les chaînons savoir-dire, dire et dit sont présentés non plus à titre d’étapes dans la successivité d’états puissanciel, effection, effectif mais bien dans un dédoublement répété à trois reprises, de la successivité d’états puissanciel/effectif. Le rapport de la visée de discours et de la visée phrastique pour rejoindre l’acte d’énonciation prend la forme d’une successivité dont Joly écrit dans son article de 1981 Contribution à l’élaboration d’une syntaxe générale : éléments pour une syntaxe psychomécanique de l’énonciation.

En chronologie de raison, la successivité visée d’effet////visée phrastique recouvre en fait la successivité, plus générale, matière/////forme. D’une analyse à l’autre, le rapport a changé, de l’inclusion à la successivité, et la terminologie aussi, la visée de discours étant liée davantage à la succession puissance, effection, effet qu’au sujet parlant face à l’acte de langage qui tient en visée son discours. Le terme visée d’effet est proposé comme synonyme de visée de discours et la visée communicative est explicitée. La définition de la visée d’effet : La visée d’effet est « la phase de l’acte d’énonciation où, selon la situation énonciative et le contexte linguistique[…]l’énonciateur opère à partir de la langue, une saisie mentale de la matière à dire, qui est le pensé momentané, en vue d’un certain effet à produire. » dans Contribution ,p.262-263 cité par Francis Tollis dans son ouvrage.

Conclusion

La visée phrastique est la seule visée au sens que Guillaume attribue à ce terme. C’est la visée qui dans l’acte de langage actualise les signifiés de puissance de la langue. Il s’agit alors vraiment d’une opération réalisatrice, celle qui produit la phrase, l’unité d’effet du discours.

La visée de discours est essentielle à l’existence de l’acte de langage puisqu’elle installe le sujet parlant dans l’activité de langage. Sans sujet parlant, sans sujet pensant, aucune expression de la pensée. Cette visée participe de l’acte de langage mais elle n’est pas à proprement parler, constructrice.

Visée d’effet en stricte terminologie n’est pas un synonyme de visée de discours. Cette dénomination souligne l’appartenance au plan de l’effet et privilégie la dimension communicative tandis que le terme visée de discours marque le but de la visée du sujet parlant, le discours et nous installe dans la dichotomie langue/discours.

Devrait-on dire terminologie d’école?